Quelques pistes pour évaluer le
comportement social et environnemental des entreprises
Ralph Berger
Le groupe américain Nike montré du doigt au sujet des conditions de
travail imposées dans des pays asiatiques. Des organisations non
gouvernementales (ONG) qui demandent à Syngenta, le spécialiste suisse de
l'agrochimie, de retirer un type d'herbicide de certains marchés du Sud. Deux
exemples qui illustrent clairement que les comportements des entreprises
suscitent de plus en plus de réactions au sein de l'opinion publique
Comment dès lors fixer les règles que doivent observer les sociétés
commerciales? Comment évaluer les attitudes, les efforts ou les lacunes des
entreprises par rapport à ces normes?
Dans une étude récente intitulée «Les fondements éthiques de
l'investissement responsable», l'Observatoire de la finance basé à Genève
se montre relativement critique à l'égard des ONG et des agences de
notation qui tentent de normaliser les critères éthiques: une telle
approche serait souvent subjective et floue, et aurait tendance à présenter
une vision moralisatrice du monde (Le Temps du 2 avril 2002).
«J'accepte tout à fait cette mise en garde», observe Antoine Mach,
cofondateur de Covalence, une toute jeune agence de rating social créée en
mai 2001 à Genève. «Cependant, une fois ce constat effectué, il faut quand
même que l'on propose des instruments d'évaluation éthique pour se faire
une idée du comportement des entreprises», s'empresse-t-il d'ajouter. Raison
pour laquelle Covalence s'attache à faire ressortir les informations
concernant une société, et non à porter un jugement moral sur son
fonctionnement.
Même son de cloche du côté de Centre Info, une société de conseil et de
recherche sur la responsabilité des entreprises basée à Fribourg et créée en
1990. «Nous ne donnons pas un jugement arrêté sur une société, mais nous
nous intéressons aux efforts qu'elle produit dans la durée pour respecter
ses obligations sociales et environnementales», indique son directeur
Philippe Spicher. Son organisation compte entre autres comme clients la
Caisse de prévoyance du canton de Genève, la Croix-Rouge, Pictet & Cie
et Synchrony Asset Management.
Qu'en est-il maintenant des modèles pratiques d'évaluation? «Notre
démarche, basée sur la notion de développement durable, repose sur des
textes largement acceptés et relativement explicites, souligne Philippe
Spicher. Je me réfère ici aux notions issues du Sommet de Rio, à la
Déclaration des droits de l'homme et aux conventions de base de
l'Organisation internationale du travail.» Suite à l'étude de ses
différentes normes, Centre Info a défini six thèmes auxquels elle confronte
les entreprises qu'elle ausculte: leurs rapports avec les communautés
locales, la notion de gouvernement d'entreprise, leurs relations avec leurs
clients, leurs employés, l'environnement et leurs intermédiaires
commerciaux.
Pour chacune des catégories, elle analyse la qualité et la quantité des
informations fournies par l'entreprise, vérifie l'existence de politiques
internes et la réalisation effective de celles-ci.
A titre d'exemple, prenons le problème de la corruption. Les analystes vont
passer en revue les documents de l'entreprise (site Web, rapport
annuel...), la presse internationale et nationale, et contacter un réseau
d'ONG (Transparency International...).
Ils vont aussi vérifier s'il existe formellement des directives au sein de
l'entreprise concernant la corruption, de même que des mécanismes de
sanction réels et efficaces. «Il y a trois ou quatre ans, les sociétés
analysées n'étaient pas très disposées à nous répondre, souligne Philippe
Spicher. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Les discussions ne portent plus
sur l'opportunité d'effectuer un tel rating, mais sur le type et la qualité
des informations qu'elles doivent nous fournir.»
Un minimum de standardisation émerge aussi. Centre Info représente
d'ailleurs le maillon suisse du SiRi Group (Sustainable Investment Research
International), une coalition d'instituts d'analyse sociale et
environnementale. Cette alliance, créée par des organisations européennes
et nord-américaines, compte une centaine d'analystes et offre une
information sur plus de 3000 sociétés.
La procédure d'analyse s'avère identique dans chaque agence, mais chacune
d'entre elles pondère différemment les réponses obtenues. Ainsi, par
exemple, les aspects environnementaux prennent plus d'importance en Suisse
ou en Allemagne qu'en France, où l'on se concentre surtout sur les
questions sociales.
Du côté de Covalence, le modèle d'analyse est plus ou moins similaire. Quarante-cinq
indicateurs ont été définis, issus de normes internationales (directives de
l'OCDE, de l'ONU, Déclaration universelle des droits de l'homme...). L'indicateur
21 se concentre par exemple sur l'incitation faite aux multinationales pour
qu'elles achètent les matières premières des pays en voie de développement
à un prix minimum, défini par une recommandation de la Conférence des
Nations unies pour le Développement.
«Le fait que toutes les agences de rating n'utilisent pas exactement les
mêmes critères n'est pas en soi un problème», souligne Marc Rochat de
Covalence, dont l'organisation se spécialise d'ailleurs sur l'impact des
multinationales dans les pays du Sud. «Dans ce domaine, une concurrence
n'est pas du tout néfaste, au contraire, ajoute-t-il. Elle doit plutôt
permettre d'améliorer et de vérifier la qualité de l'information.»
Dans les deux agences de notation, on fournit par conséquent principalement
des données à des clients, qu'ils soient des gestionnaires de fonds de
placement éthiques, des caisses de pension ou des ONG s'intéressant au
fonctionnement des entreprises pharmaceutiques. Le jugement de valeur leur
est ainsi délégué.
Au niveau international, tout effort de généralisation n'est cependant pas
absent, à l'image de la Global Reporting Initiative. Cette démarche
soutenue par l'ONU s'attelle à définir des lignes directrices pour la
publication par les entreprises d'informations aussi bien économiques que
sociales et environnementales. La discussion autour du rating éthique est
donc loin d'être terminée.
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