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Lundi 29 avril 2002
Rubrique:  économie

Quelques pistes pour évaluer le comportement social et environnemental des entreprises


Ralph Berger

Le groupe américain Nike montré du doigt au sujet des conditions de travail imposées dans des pays asiatiques. Des organisations non gouvernementales (ONG) qui demandent à Syngenta, le spécialiste suisse de l'agrochimie, de retirer un type d'herbicide de certains marchés du Sud. Deux exemples qui illustrent clairement que les comportements des entreprises suscitent de plus en plus de réactions au sein de l'opinion publique
Comment dès lors fixer les règles que doivent observer les sociétés commerciales? Comment évaluer les attitudes, les efforts ou les lacunes des entreprises par rapport à ces normes?
Dans une étude récente intitulée «Les fondements éthiques de l'investissement responsable», l'Observatoire de la finance basé à Genève se montre relativement critique à l'égard des ONG et des agences de notation qui tentent de normaliser les critères éthiques: une telle approche serait souvent subjective et floue, et aurait tendance à présenter une vision moralisatrice du monde (Le Temps du 2 avril 2002).
«J'accepte tout à fait cette mise en garde», observe Antoine Mach, cofondateur de Covalence, une toute jeune agence de rating social créée en mai 2001 à Genève. «Cependant, une fois ce constat effectué, il faut quand même que l'on propose des instruments d'évaluation éthique pour se faire une idée du comportement des entreprises», s'empresse-t-il d'ajouter. Raison pour laquelle Covalence s'attache à faire ressortir les informations concernant une société, et non à porter un jugement moral sur son fonctionnement.
Même son de cloche du côté de Centre Info, une société de conseil et de recherche sur la responsabilité des entreprises basée à Fribourg et créée en 1990. «Nous ne donnons pas un jugement arrêté sur une société, mais nous nous intéressons aux efforts qu'elle produit dans la durée pour respecter ses obligations sociales et environnementales», indique son directeur Philippe Spicher. Son organisation compte entre autres comme clients la Caisse de prévoyance du canton de Genève, la Croix-Rouge, Pictet & Cie et Synchrony Asset Management.
Qu'en est-il maintenant des modèles pratiques d'évaluation? «Notre démarche, basée sur la notion de développement durable, repose sur des textes largement acceptés et relativement explicites, souligne Philippe Spicher. Je me réfère ici aux notions issues du Sommet de Rio, à la Déclaration des droits de l'homme et aux conventions de base de l'Organisation internationale du travail.» Suite à l'étude de ses différentes normes, Centre Info a défini six thèmes auxquels elle confronte les entreprises qu'elle ausculte: leurs rapports avec les communautés locales, la notion de gouvernement d'entreprise, leurs relations avec leurs clients, leurs employés, l'environnement et leurs intermédiaires commerciaux.
Pour chacune des catégories, elle analyse la qualité et la quantité des informations fournies par l'entreprise, vérifie l'existence de politiques internes et la réalisation effective de celles-ci.
A titre d'exemple, prenons le problème de la corruption. Les analystes vont passer en revue les documents de l'entreprise (site Web, rapport annuel...), la presse internationale et nationale, et contacter un réseau d'ONG (Transparency International...).
Ils vont aussi vérifier s'il existe formellement des directives au sein de l'entreprise concernant la corruption, de même que des mécanismes de sanction réels et efficaces. «Il y a trois ou quatre ans, les sociétés analysées n'étaient pas très disposées à nous répondre, souligne Philippe Spicher. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Les discussions ne portent plus sur l'opportunité d'effectuer un tel rating, mais sur le type et la qualité des informations qu'elles doivent nous fournir.»
Un minimum de standardisation émerge aussi. Centre Info représente d'ailleurs le maillon suisse du SiRi Group (Sustainable Investment Research International), une coalition d'instituts d'analyse sociale et environnementale. Cette alliance, créée par des organisations européennes et nord-américaines, compte une centaine d'analystes et offre une information sur plus de 3000 sociétés.
La procédure d'analyse s'avère identique dans chaque agence, mais chacune d'entre elles pondère différemment les réponses obtenues. Ainsi, par exemple, les aspects environnementaux prennent plus d'importance en Suisse ou en Allemagne qu'en France, où l'on se concentre surtout sur les questions sociales.
Du côté de Covalence, le modèle d'analyse est plus ou moins similaire. Quarante-cinq indicateurs ont été définis, issus de normes internationales (directives de l'OCDE, de l'ONU, Déclaration universelle des droits de l'homme...). L'indicateur 21 se concentre par exemple sur l'incitation faite aux multinationales pour qu'elles achètent les matières premières des pays en voie de développement à un prix minimum, défini par une recommandation de la Conférence des Nations unies pour le Développement.
«Le fait que toutes les agences de rating n'utilisent pas exactement les mêmes critères n'est pas en soi un problème», souligne Marc Rochat de Covalence, dont l'organisation se spécialise d'ailleurs sur l'impact des multinationales dans les pays du Sud. «Dans ce domaine, une concurrence n'est pas du tout néfaste, au contraire, ajoute-t-il. Elle doit plutôt permettre d'améliorer et de vérifier la qualité de l'information.»
Dans les deux agences de notation, on fournit par conséquent principalement des données à des clients, qu'ils soient des gestionnaires de fonds de placement éthiques, des caisses de pension ou des ONG s'intéressant au fonctionnement des entreprises pharmaceutiques. Le jugement de valeur leur est ainsi délégué.
Au niveau international, tout effort de généralisation n'est cependant pas absent, à l'image de la Global Reporting Initiative. Cette démarche soutenue par l'ONU s'attelle à définir des lignes directrices pour la publication par les entreprises d'informations aussi bien économiques que sociales et environnementales. La discussion autour du rating éthique est donc loin d'être terminée.