ECONOMIE
Le Temps I Economie I Article

 

 

 

 

Les pétroliers vantent les énergies propres: de la poudre aux yeux?

 

PUBLICITE. Les géants de l'or noir communiquent à coups de pleines pages sur le thème de l'écologie. BP et Shell sont à la pointe, même si les investissements dans le renouvelable restent marginaux.

 

 

 

 

 

Nicolas Pinguely
Vendredi 26 août 2005

 

 

 

 

Wall Street Journal, The Economist, Financial Times. Depuis quelques mois, la presse financière regorge d'encarts publicitaires vantant les mérites écologiques des géants du pétrole. Chevron annonce la fin du tout au pétrole. Shell décline le gaz liquéfié à la sauce bourgeois bohème. BP se raconte solaire. Bref, le Protocole de Kyoto visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre serait au centre des préoccupations de l'industrie pétrolière.

Préoccupations réelles face au réchauffement climatique ou slogan de marketing? La faiblesse des montants alloués par les compagnies à la recherche et au développement (R & D) d'énergies alternatives révèle une stratégie avant tout axée sur la communication. Même si les initiatives de BP et de Shell (solaire, hydrogène, éoliennes) sont reconnues par les écologistes.

«Les sommes dédiées aux projets renouvelables ne dépassent pas 1% du total des investissements pour les groupes les plus avancés, tels BP et Shell», estime François Perrin, analyste en développement durable chez LODH à Genève. En 2004, les dépenses d'investissement dans le pétrole (exploration, extraction, raffinage, etc.) ont atteint 15 milliards de dollars chez Shell, 16 milliards chez BP et 20 milliards chez Exxon (
XOM). «A ma connaissance, Exxon n'a aucun projet dans les énergies renouvelables», précise Natacha Guerdat, analyste au sein de la même équipe chez LODH. Le groupe américain axe principalement ses recherches sur la mise au point d'essences et liquides raffinés pauvres en rejets polluants.

En fait, les budgets «durables» des compagnies pétrolières n'ont pas progressé de manière significative. Les projets ont généralement été lancés au début des années 2000 et coïncident avec l'intensification de leur communication verte. «Ces campagnes de marketing se sont renforcées depuis deux ans», ajoute François Perrin.

Les compagnies chercheraient avant tout à améliorer leur i
mage. Cette dernière a souffert au rythme des marées noires provoquées par les tankers (Erika, Prestige) et des dénonciations pour corruption ou pollution dans les pays en voie de développement (Nigeria, Equateur).

Fait nouveau, les groupes ciblent aujourd'hui moins les consommateurs que les investisseurs. «Le soleil, le vent, l'hydrogène permettent à des compagnies pétrolières d'apparaître plus propres, plus douces, et ils donnent aux fonds d'investissement éthiques des motifs de les y inclure. Activité marginale du groupe en termes comptables, BP Solar est connu comme un des principaux producteurs d'équipements pour l'énergie solaire, ce qui lui fait marquer beaucoup de points à «l'éthicomètre», souligne une note d'
Antoine Mach, cofondateur de l'agence de cotation éthique Covalence à Genève. «Cela permet aussi de maîtriser les technologies du futur», tempère Natacha Guerdat.

Ces stratégies à destination des financiers passent par une visibilité accrue. «Les agences de notation (ndlr: qui décident de la composition des indices) sont très sensibles aux stratégies de communication», affirme François Perrin. Et cela fonctionne. «BP et Shell figurent parmi les vingt titres préférés des fonds éthiques», observe
Antoine Mach.

Ces dernières années, les pétroliers se sont retrouvés sous forte pression. «Sur 185 résolutions d'actionnaires religieux et sociaux annoncées pour 2004, le thème du réchauffement climatique arrive en première position», souligne-t-il. En définitive, la multiplication des pages publicitaires constitue un moyen d'attirer des investisseurs de plus en plus sensibles aux critères environnementaux et sociaux.

Aucune fibre écologique chez les pétroliers? Pas forcément. En 2004, BP a débloqué une somme de 350 millions de dollars sur cinq ans pour financer un programme sur la réduction d'émissions nocives et l'efficience énergétique. Mais, là aussi, le budget peine à convaincre. «Ce montant est largement insuffisant pour lutter contre les 100 000 à 150 000 tonnes de gaz carbonique relâchées annuellement par chacune des majors lors de l'exploration, la production ou le raffinage», relève François Perrin.

Et le spécialiste de conclure, pas dupe: «Les incitations réglementaires sont déterminantes pour convaincre les géants pétroliers de se positionner dans les énergies alternatives, en attendant les premières réalisations opérationnelles de séquestration du carbone à l'horizon 2020 (lire ci-dessous).»

 

 

 

 

 

Les exemples chinois et européen

Les lois d'incitation sont primordiales pour les énergies alternatives.

Nicolas Pinguely
Le prix du pétrole a explosé depuis 2001. Le cours du baril a été multiplié par trois à près de 70 dollars. Aujourd'hui, la cherté du brut permet aux énergies renouvelables de gagner en crédibilité. Mais les investissements des firmes pétrolières dans le solaire et l'éolien ne décollent pas.

Ces derniers privilégient plutôt un retour à 20 ou 30 dollars du cours du brut. Une baisse envisageable ces prochaines années. En effet, si les réserves de brut ne sont pas éternelles, elles ne sont pas épuisées pour autant. Dès lors, l'adoption de lois d'incitation reste primordiale pour le développement de l'éolien ou du solaire. D'autant que le charbon ou les sables bitumeux canadiens représentent aussi des alternatives, certes polluantes, au pétrole. Et que, demain, les processus de séquestration du gaz carbonique rendront les énergies fossiles à nouveau fréquentables.

Ces techniques consistent à injecter les rejets de carbone dans des poches vides de pétrole ou de gaz pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. «Les incitations réglementaires sont essentielles pour soutenir le positionnement des groupes pétroliers dans les énergies vertes», souligne Natacha Guerdat, analyste en développement durable chez LODH.

La directive européenne et la position chinoise vont dans le bon sens. Dans l'Union européenne, 12% de la consommation d'énergie devra provenir d'une source durable d'ici à 2010, contre 3% aujourd'hui.
Pékin s'est fixé un objectif analogue: 10% à l'horizon 2020.

 

 

Retour au sommet de la page

 

© Le Temps, 2005 . Droits de reproduction et de diffusion réservés.

 

 

Acheter les droits de reproduction de cet article.